
L’amendement n° I-3521 (rectifié), présenté le 23 octobre 2025 à l’Assemblée nationale par Charles de Courson et plusieurs députés centristes, modifie en profondeur l’article 150-0 B ter du Code général des impôts (CGI), qui encadre le régime fiscal dit de l’apport-cession.
Ce régime permettait jusqu’ici à un entrepreneur ou investisseur de reporter l’imposition d’une plus-value réalisée lors de l’apport de titres à une société, à condition de réinvestir 60 % du produit dans une activité économique dans les deux ans.
L’amendement vise à renforcer la logique de réinvestissement productif et à limiter les abus.
Les principales mesures adoptées
1. Un report plus exigeant
- Le taux de réinvestissement minimal passe de 60 % à 80 %.
- Le délai pour effectuer ce réinvestissement est porté de 2 à 5 ans, en cohérence avec les cycles d’investissement plus longs dans les secteurs productifs.
Objectif : favoriser les réinvestissements réels dans l’économie productive, et non les opérations de portage ou d’optimisation à court terme.
2. Proportionnalité du report
- Si le seuil de 80 % n’est pas atteint, la fraction non réinvestie devient immédiatement imposable, tandis que le report demeure pour la part réinvestie.
C’est une évolution majeure : auparavant, le non-respect partiel des conditions entraînait souvent la remise en cause totale du report.
3. Suppression de la “purge” au décès
- En cas de décès du titulaire, le report d’imposition est désormais transmis aux héritiers, proportionnellement à leurs droits.
- La plus-value en report devient imposable au moment de la cession ou du non-respect des conditions, dans un délai de 5 ans (ou 10 ans si le réinvestissement est productif).
Objectif : éviter les “sorties défiscalisées” au décès, fréquentes dans les stratégies patrimoniales.
4. Encadrement réglementaire et transparence
- Le Gouvernement devra publier chaque année un rapport au Parlement détaillant :
- Le montant total des plus-values placées en report,
- La part réellement réinvestie dans l’économie productive,
- Les vecteurs d’investissement utilisés,
- Et le coût budgétaire implicite du dispositif.
C’est une première : le dispositif devient évalué et traçable.
Impacts sur l’investissement immobilier
1. Pour les investisseurs particuliers
Les opérations d’apport-cession étaient souvent utilisées pour loger les produits de cession d’entreprises dans des sociétés civiles immobilières (SCI) ou des holdings investissant en immobilier patrimonial.
Avec l’obligation de réinvestir 80 % dans l’économie “productive”, les placements purement immobiliers (achat d’immeubles locatifs, résidences de rendement, etc.) risquent d’être exclus ou fortement encadrés, sauf s’ils participent à une activité économique réelle (promotion, construction, logement intermédiaire, etc.).
Conséquence : l’immobilier “passif” (location nue, rendement patrimonial) pourrait être moins attractif dans les stratégies d’apport-cession.
2. Pour les foncières et marchands de biens
Le délai porté à 5 ans offre une meilleure flexibilité aux acteurs de l’immobilier professionnel :
- Les marchands de biens ou promoteurs pourront structurer des opérations de réinvestissement à plus long terme.
- Les foncières familiales devront en revanche démontrer le caractère productif de leur activité (création d’emplois, travaux significatifs, développement durable).
En revanche, la fin de la purge au décès rend les transmissions moins neutres fiscalement — un facteur de prudence pour les stratégies patrimoniales immobilières.
3. Pour les investisseurs institutionnels
Le texte encourage une logique d’investissement de long terme, compatible avec des fonds de capital-investissement immobilier productif (par exemple, réhabilitation de logements, construction durable, logements intermédiaires).
Il pourrait donc favoriser la montée en puissance de fonds à impact, au détriment de simples portefeuilles de rendement.
Analyse économique et politique
Cet amendement traduit une évolution claire du discours fiscal :
Moins d’incitations à la défiscalisation patrimoniale,
Plus de soutien au réinvestissement productif à long terme.
L’idée directrice, issue du rapport RALF sur la loi fiscale, est de canaliser l’épargne issue des plus-values vers l’économie réelle, notamment dans l’industrie, la transition écologique et le logement productif.
En pratique, cela :
- resserre les conditions pour les opérations immobilières de simple gestion patrimoniale,
- mais ouvre une fenêtre pour les acteurs capables de démontrer un impact productif et durable (construction, réhabilitation, infrastructures vertes).
En résumé
| Mesure | Avant | Après (PLF 2026) |
|---|---|---|
| Seuil de réinvestissement | 60 % | 80 % |
| Délai de réinvestissement | 2 ans | 5 ans |
| Purge au décès | Oui | Supprimée |
| Imposition partielle | Non (tout ou rien) | Oui (proportionnelle) |
| Transparence annuelle | Aucune | Rapport public obligatoire |
Perspectives pour les investisseurs immobiliers
Les stratégies d’apport-cession devront désormais :
- Inclure une dimension économique réelle, pas seulement patrimoniale ;
- Anticiper la transmission, puisque le report suivra les héritiers ;
- Structurer des réinvestissements sur 5 ans, compatibles avec le nouveau calendrier.
En clair, l’amendement marque une réorientation du capital privé vers la production et la transformation, et un désengagement progressif de la défiscalisation immobilière patrimoniale.




