De New York à Tokyo, de Berlin à Buenos Aires : un tour du monde des politiques du logement

Le logement, un révélateur social et politique
Longtemps considéré comme un pilier de la stabilité sociale, le logement est devenu un symbole d’inégalité et de fracture générationnelle.
Dans les métropoles mondiales — New York, Paris, Londres, Berlin — le prix du mètre carré ou du loyer dépasse désormais le revenu médian mensuel.
Les politiques oscillent entre protection des locataires, soutien à la construction, et contrôle des investisseurs.
Mais aucune formule magique ne semble fonctionner durablement.
Alors que la France s’enlise dans une crise du logement sans précédent (-30 % de mises en chantier en un an), regardons comment d’autres nations affrontent la même tempête.
New York – la ville qui ne dort jamais… faute de logement abordable
Contexte :
- Loyer moyen d’un studio : 3 400 $/mois
- 1 famille sur 5 contrainte de quitter la ville
- 1,2 million de logements à loyer libre, 1,1 million occupés par leur propriétaire, 1,2 million de loyers régulés
Politique :
Le candidat socialiste Zohran Mamdani propose un gel des loyers stabilisés pendant 4 ans pour enrayer l’explosion des prix.
Les promoteurs rétorquent : “Si on gèle les loyers, on gèle aussi les chantiers.”
Analyse :
Le marché new-yorkais souffre d’un déficit d’offre chronique, aggravé par les contraintes foncières et la hausse des coûts de construction.
En voulant protéger les locataires existants, la ville décourage les investisseurs et réduit mécaniquement l’offre nouvelle.
Les cours des foncières (REITs) ont plongé à l’annonce du projet.
Le dilemme new-yorkais : protéger à court terme ou construire pour demain ?
Berlin – du “Mietendeckel” au désenchantement
Contexte :
Entre 2010 et 2020, les loyers berlinois ont doublé.
En 2020, la municipalité introduit un plafond strict des loyers sur 5 ans : le fameux Mietendeckel.
Conséquences :
- Chute de 40 % des transactions dans l’immobilier locatif
- Fuite des investisseurs institutionnels
- Effondrement du marché locatif neuf
- Hausse des prix à la revente dans le secteur libre
En 2021, la Cour constitutionnelle fédérale annule le dispositif, le jugeant contraire au droit fédéral.
Résultat : explosion des loyers dès l’abrogation, aggravation du manque de logements.
Berlin a expérimenté la régulation la plus stricte d’Europe, et prouvé son inefficacité structurelle sans accompagnement par la construction.
Argentine – le chaos inflationniste
Contexte :
Inflation supérieure à 250 %, dollarisation de fait, absence de crédit hypothécaire.
Les propriétaires fixent les loyers en dollars, les locataires n’ont plus accès à la propriété.
Politique :
En 2024, le président Javier Milei supprime la loi de régulation locative, prônant une dérégulation totale.
Objectif : relancer l’offre et “laisser faire le marché”.
Résultat :
- Explosion des loyers indexés sur le dollar
- Raréfaction de l’offre locative formelle (beaucoup de propriétaires préfèrent vendre ou louer à court terme)
- Multiplication des locations informelles et du troc
Quand l’économie s’effondre, la dérégulation ne crée pas de logement : elle accélère la fracture sociale.
Japon – la stabilité par la construction
Contexte :
Tokyo abrite près de 40 millions d’habitants dans son aire urbaine.
Pourtant, le logement y reste abordable par rapport à Paris ou Londres.
Raisons :
- Urbanisme souple et centralisé : pas de PLU rigides, délivrance rapide des permis.
- Forte densification : le Japon a choisi de construire verticalement, y compris dans les quartiers centraux.
- Peu de régulation des loyers : les prix s’ajustent par l’offre, non par décret.
- Fiscalité incitative : les promoteurs bénéficient de dispositifs de reconstruction et de déduction.
Résultat :
Une offre abondante, des loyers stables, et une fluidité du marché qui empêche la formation de bulles.
Tokyo prouve qu’on peut maintenir l’accessibilité sans bloquer les loyers, à condition de libérer le foncier et les permis.
France – le pays qui encadre sans construire
Contexte :
- -30 % de mises en chantier en 12 mois
- DPE, ZAN, PLU, fiscalité lourde : la “muraille réglementaire”
- Encadrement des loyers à Paris, Lille, Lyon, Bordeaux
Effets pervers :
- Les investisseurs fuient le locatif
- Les propriétaires vendent ou passent en meublé touristique
- L’offre se réduit, les loyers montent dans le secteur non encadré
Les dispositifs comme Pinel, LMNP ou BRS n’ont pas compensé la chute de la construction.
La loi Climat et Résilience (interdiction de louer les passoires F et G) a accéléré la sortie de milliers de logements du parc locatif.
En France, l’encadrement se cumule avec la fiscalité, sans création d’offre.
Le logement devient improductif fiscalement, donc abandonné par les investisseurs.
Suisse – la voie du compromis
Contexte :
Les loyers suisses sont élevés, mais l’accès au logement reste globalement maîtrisé.
Clé du modèle :
- Gouvernance locale très décentralisée
- Fort secteur coopératif (plus de 20 % du parc locatif à Zurich)
- Loyers indexés sur le taux hypothécaire, non sur l’indice des prix
- Concertation permanente entre locataires, investisseurs et cantons
Une régulation contractuelle et pragmatique, non idéologique, qui stabilise le marché.
Comparatif synthétique
| Pays / Ville | Orientation politique | Politique clé | Résultat global |
|---|---|---|---|
| New York | Protection locataire | Gel des loyers stabilisés | Offre figée, loyers en hausse |
| Berlin | Régulation stricte | Plafonnement total | Jugé inconstitutionnel, crise durable |
| Argentine | Libéralisme extrême | Dérégulation totale | Explosion des loyers |
| Japon | Urbanisme libéré | Permis rapides, construction massive | Marché stable |
| France | Réglementation + fiscalité | Encadrement + DPE + ZAN | Effondrement de l’offre |
| Suisse | Gouvernance locale | Indexation sur taux + coopératives | Stabilité relative |
Conclusion : entre idéologie et réalité
Le logement n’est pas seulement un actif économique.
C’est un bien social, un levier politique et un thermomètre de confiance.
Les pays qui s’en sortent le mieux (Japon, Suisse) sont ceux qui ont su dépolitiser le sujet, en privilégiant la prévisibilité, la simplicité et la construction.
Les autres oscillent entre protectionnisme électoral et réformes avortées, sacrifiant la fluidité du marché sur l’autel du court terme.
En France, le logement est devenu une “variable d’ajustement fiscale”.
Mais tant que l’offre ne suivra pas, chaque mesure protectrice ne fera qu’aggraver la pénurie.
“La vraie régulation du logement, c’est la construction.”
Et sur ce point, le Japon a 30 ans d’avance.




