
5 questions à Pierre-Louis Denis
Auteur du livre Les principes de l’immobilier et fondateur du site Le Plan du Patrimoine
Comprendre la mutation du métier d’agent immobilier : de la transaction à la pluri-compétence
Alors que le marché immobilier connaît une contraction historique — avec un recul du nombre de ventes de près de 30 % en cinq ans —, le métier d’intermédiaire immobilier se transforme en profondeur.
Faut-il y voir une crise du modèle traditionnel ou une évolution naturelle vers plus de diversification et de complémentarité ?
Pour y répondre, nous avons interrogé Pierre-Louis Denis, passionné par les sciences immobilières, auteur du livre Les principes de l’immobilier et fondateur du site Le Plan du Patrimoine.
Son approche analytique, rigoureuse et lucide éclaire les enjeux d’un secteur où la polycompétence devient la clé de la pérennité.
Entre data, humanité et redéfinition du rôle des agences, il partage avec MaFormationImmo sa vision du métier en 2030 :
des professionnels pluriels, capables de conjuguer expertise technique, conseil patrimonial et entrepreneuriat collectif.
1. Vous évoquez une baisse moyenne de 9,4 à 6,4 ventes par an entre 2017 et 2024, selon vous, cette évolution traduit-elle avant tout une crise conjoncturelle (hausse des taux, raréfaction du crédit) ou une crise structurelle du modèle économique de la transaction ?
C’est un phénomène structurel, mais pas vraiment une crise. Cela provient de l’émergence, au début des années 2000, des réseaux de mandataires immobiliers dont le modèle — sans agence physique et reposant sur des agents commerciaux indépendants — a permis de recruter massivement sans frais, à la fois des professionnels, mais aussi des personnes en reconversion et des néophytes de l’immobilier. Ces réseaux ont alors inondé le secteur de mandataires immobiliers indépendants, dont le nombre a augmenté bien plus rapidement que le volume de transactions. Ainsi, avec toujours plus d’acteurs pour un nombre de ventes limité, chacun réalise mécaniquement moins de ventes en moyenne.
2. Vous soulignez que le nombre de professionnels a baissé moins vite que celui des transactions.
Est-ce, selon vous, un signe de résilience du métier, ou plutôt une illusion collective favorisée par la facilité d’accès à la profession ?
C’est le signe que chaque acteur est de plus en plus diversifié et que chacun est capable de faire moins de ventes et de percevoir moins de revenus de cette activité tout en restant financièrement stable grâce à ses autres activités :
– Les agences immobilières se diversifient dans la gestion locative, le syndic de copropriété et désormais la conciergerie.
– Les mandataires immobiliers disposent bien souvent d’autres sources de revenus à côté (chômage, salaire, retraite, autres revenus).
– Les notaires qui ont un pôle transaction conservent leur activité principale.
– Les promoteurs immobiliers, les avocats et les sociétés de gestion de patrimoine, qui peuvent également intervenir comme intermédiaires dans une transaction immobilière, maintiennent eux aussi leur activité principale.
Il faut maintenant voir le métier d’intermédiaire en transaction immobilière comme une activité secondaire.
3. De plus en plus d’agents se diversifient vers la gestion, la chasse ou la rénovation.
Pensez-vous que l’avenir passe par la polycompétence, ou qu’il faut au contraire réaffirmer une spécialisation forte pour retrouver de la valeur perçue ?
C’est inévitable : avec la baisse du nombre moyen de ventes annuelles par conseiller immobilier, chacun tire moins de revenus de l’activité d’intermédiaire en transaction immobilière. La diversification devient alors indispensable, au risque de disparaître. Elle peut se faire en gestion de patrimoine, en rénovation ou dans toute autre activité lucrative, pas forcément dans l’immobilier. C’est ce que l’on constate avec les mandataires immobiliers indépendants dont certains sont aussi serveurs, secrétaires ou commerciaux dans un autre domaine.
Ceux qui échappent encore à cette logique sont les professionnels spécialisés dans l’immobilier de luxe et les biens fortement valorisés, qui leur permettent de percevoir des honoraires élevés sur une seule transaction et donc de se contenter de peu de ventes par an. Mais on parle ici de transactions à partir d’un million d’euros.
4. Vous êtes passionné par les « sciences immobilières ».
Comment cette approche scientifique peut-elle aider les professionnels à reprendre la main sur leur performance dans un environnement dominé par la data et les algorithmes ?
Les sciences immobilières couvrent tous les aspects de l’immobilier, en revenant sur des notions : juridiques, économiques, financières, architecturales, urbanistiques, techniques (modes de construction), historiques, démographiques, sociologiques et même philosophiques. Cela passe par l’immobilier de service (intermédiation immobilière, gestion de biens immobiliers), la construction, la restauration, la conservation, l’aménagement foncier, les problèmes de logement et l’accès à la propriété notamment. Les sciences immobilières sont l’équivalent des sciences économiques ou des sciences humaines par exemple. Elles sont alors indispensables à étudier pour toute personne se lançant dans des métiers de l’immobilier, pour comprendre ce domaine et mieux le maîtriser. Les bases y sont très bien expliquées dans mon livre Les principes de l’immobilier. Et comme toutes sciences, celle-ci est traversée par la révolution numérique dont la data et les algorithmes sont maîtres du jeu. Il devient donc difficile d’y échapper pour les acteurs de l’immobilier qui doivent composer avec pour continuer à être visibles et performants. Toutefois, l’humain et les rencontres en face à face doivent rester la base du métier. C’est comme cela que l’on construit des relations de confiances et un réseau durable.
5. Enfin, selon vous, quel profil d’agent immobilier émergera à horizon 2030 : plus technicien, plus financier, plus conseiller patrimonial… ou plus entrepreneur ?
En 2030, les agents immobiliers mais surtout les agences immobilières devront inévitablement être multi-compétences et diversifiées. Ce sera un véritable jeu d’équipe où, ensemble, au sein d’une agence, les agents immobiliers devront proposer des services dans l’intermédiation immobilière mais aussi dans la gestion locative, la conciergerie, et le syndic de copropriété. Ils pourront également ouvrir un pôle en conseil sur l’investissement immobilier, en proposant des montages financiers et des techniques de défiscalisation. Ils pourront aussi, grâce à leur réseau, ouvrir un pôle sur la gestion de travaux, avec la mise en relation avec des artisans et pourquoi pas se porter maître d’œuvre pour certains chantiers. Ce jeu d’équipe deviendra obligatoire pour les agents immobiliers, où ils devront être plusieurs au sein d’une agence pour proposer des services diversifiés de qualité. Cela deviendra obligatoire pour se démarquer et faire face à l’afflux constant de mandataires immobiliers indépendants.
Lien du livre : https://www.librinova.com/librairie/pierre-louis-denis/les-principes-de-l-immobilier




