Contexte et principe général après annulation d’un refus de permis
Dans le domaine de l’urbanisme, il arrive qu’un permis de construire (ou d’aménager) soit refusé par l’administration, puis que ce refus soit contesté devant le juge administratif. Si le juge annule la décision de refus et ordonne la délivrance du permis, l’autorité administrative ne peut en principe plus s’opposer au projet initial. En effet, l’autorité de la chose jugée attachée à la décision de justice interdit à l’administration de reprendre un nouveau refus sur le même projet, sauf changement de circonstances de fait. Autrement dit, tant que la situation de fait n’a pas évolué (par exemple, de nouvelles règles d’urbanisme ou des modifications du projet), l’administration doit délivrer le permis conformément au jugement d’annulation.

Ce principe vise à garantir la sécurité juridique des pétitionnaires (demandeurs de permis) après une décision de justice définitive. Il oblige l’administration à tirer toutes les conséquences de l’annulation du refus initial. Toutefois, ce principe connaît quelques exceptions légales. Par exemple, si la situation a évolué (apparition d’un risque nouveau, modification du projet, évolution du plan local d’urbanisme, etc.), un nouveau refus peut éventuellement être justifié. De même, dans le cadre particulier du certificat d’urbanisme, la loi prévoit que les règles d’urbanisme applicables à une demande restent celles en vigueur à la date du certificat, sauf celles visant à préserver la sécurité ou la salubrité publiques. Cela montre que les considérations de sécurité et de santé publiques conservent un statut à part en droit de l’urbanisme, pouvant primer sur d’autres garanties du pétitionnaire.
L’exception des motifs de salubrité ou de sécurité publique
Récemment, la question s’est posée de savoir si un motif nouveau lié à la salubrité ou à la sécurité publique pouvait être invoqué par l’autorité compétente pour maintenir un refus de permis malgré l’annulation de celui-ci par le juge. La cour administrative d’appel de Nancy, dans un arrêt du 22 mai 2025 (Cne de Villers-la-Montagne), a apporté une réponse novatrice : oui, sous certaines conditions. Selon la CAA de Nancy, même en l’absence de tout changement de circonstances, l’administration peut opposer un nouveau refus après le jugement si ce refus est fondé sur un motif inédit tenant à la salubrité ou à la sécurité publique, motif qui n’avait été ni avancé dans la décision initiale, ni débattu pendant l’instance ayant conduit à l’annulation. Autrement dit, un danger grave pour la santé publique ou la sécurité collective, passé inaperçu lors de l’instruction initiale, pourrait justifier à lui seul que l’on ne délivre finalement pas le permis, malgré l’injonction du juge.
Cette position reconnaît le caractère primordial des enjeux de santé et de sécurité publiques. Historiquement, le Code de l’urbanisme permet déjà de refuser un permis pour de tels motifs via l’article R.111-2. Ce texte dispose qu’un projet peut être refusé (ou assorti de conditions spéciales) s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique. Toutefois, le Conseil d’État encadre strictement l’usage de ce motif : un refus pour risque sanitaire ou sécuritaire n’est légal que s’il est impossible de pallier le risque par des prescriptions techniques appropriées. En effet, si des mesures raisonnables (travaux, aménagements, matériaux, dispositifs) peuvent éliminer ou réduire suffisamment le danger sans dénaturer le projet, alors le permis doit être accordé avec ces prescriptions plutôt que refusé. Le principe général est donc de favoriser la délivrance du permis dès que le risque peut être maîtrisé, et de ne réserver le refus qu’aux cas où aucune solution acceptable n’existe pour rendre le projet sûr et conforme aux règles.
Conditions de validité du nouveau refus pour salubrité/sécurité
Pour qu’une autorité locale (maire ou service instructeur) puisse valablement maintenir un refus de permis annulé en invoquant un motif de salubrité ou de sécurité publique, plusieurs conditions strictes doivent être réunies :
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Motif inédit et non évoqué précédemment : Le nouveau motif avancé ne doit pas avoir été mentionné dans la décision de refus initiale ni durant la procédure juridictionnelle ayant conduit à l’annulation. Il doit s’agir d’un élément totalement nouveau dans le débat, découvert ou compris après coup.
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Domaine limité à la salubrité/sécurité publique : Ce motif doit relever exclusivement de la protection de la santé publique ou de la sécurité des personnes (par exemple, un risque grave d’incendie, d’inondation, d’effondrement, un problème sanitaire majeur, etc.). Des considérations d’une autre nature (esthétique, voisinage, simple non-conformité urbanistique…) ne sauraient justifier un tel revirement post-annulation.
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Absence de changement de circonstances non requis : Fait notable, aucun changement de fait ou de droit n’est exigé dans ce cas particulier. Même sans évolution de la situation depuis le jugement, l’administration est exceptionnellement admise à invoquer ce motif supérieur de salubrité/sécurité. C’est un assouplissement par rapport à la règle habituelle qui impose un changement de circonstances pour déroger à l’autorité de la chose jugée.
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Impossibilité de délivrer le permis avec des conditions : Le nouveau motif doit révéler un obstacle légal insurmontable à la délivrance du permis. En d’autres termes, il ne doit pas exister de prescriptions spéciales ou de mesures techniques réalisables qui permettraient de rendre le projet acceptable du point de vue salubrité/sécurité. Si une solution existe pour éliminer le danger (par exemple, un aménagement ou un équipement compensatoire), alors l’administration devrait la mettre en œuvre plutôt que refuser à nouveau.
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Risque réel et sérieux : Enfin, le motif invoqué doit être fondé en fait et suffisamment grave. Un danger hypothétique, mineur ou aisément contournable ne pourrait légitimer un nouveau refus. L’administration devra donc démontrer la réalité et l’ampleur de la menace pour la santé ou la sécurité publiques. À défaut, sa décision sera jugée illégale.
Si l’une de ces conditions fait défaut, le refus réitéré de l’administration s’expose à une nouvelle censure par le juge administratif, pour méconnaissance de l’autorité de la chose jugée ou détournement de procédure. Cette possibilité de « repêchage » d’un motif de refus après coup demeure donc exceptionnelle et strictement encadrée.
Jurisprudences et exemples concrets
Plusieurs affaires illustrent la façon dont les motifs de salubrité ou de sécurité peuvent intervenir dans les décisions de permis :
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CAA Nancy, 22 mai 2025 (Commune de Villers-la-Montagne) – Dans cette affaire récente, le tribunal avait annulé un refus de permis d’aménager un lotissement, faute de motif légal valable, et ordonné sa délivrance. Pourtant, le maire a de nouveau refusé le permis en avançant un nouveau motif : l’impossibilité d’accroître la capacité du forage d’eau potable de la commune, ce qui aurait posé un problème de salubrité publique pour alimenter les futurs lots. La cour administrative d’appel a jugé ce refus illégal, car en réalité l’alimentation en eau du lotissement pouvait être assurée par un autre biais (raccordement à un réseau voisin, par exemple). Le prétendu risque sanitaire n’était donc pas avéré, et le motif de salubrité invoqué a été écarté pour absence de fondement factuel. Cette décision illustre qu’un motif de salubrité/sécurité, même recevable en théorie, doit encore prouver sa validité concrète pour justifier un refus.
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CE, 26 juin 2019, n° 412429 (Commune de Tanneron) – Ici, un particulier demandait un permis de construire pour une maison et une piscine sur un plateau entouré d’un vaste massif forestier dans le Var. La mairie a refusé le permis en se fondant sur l’article R.111-2 du Code de l’urbanisme, invoquant le risque élevé d’incendie (danger pour la sécurité publique) d’après l’avis des pompiers. Le pétitionnaire a contesté en proposant divers aménagements (réserves d’eau, arrosage anti-incendie, matériaux résistants au feu) pour sécuriser sa construction. Néanmoins, le Conseil d’État a confirmé la légalité du refus, estimant que ces dispositifs ne suffisaient pas à écarter le risque d’embrasement généralisé. Cet exemple montre qu’un refus fondé sur la sécurité publique peut être validé par le juge lorsque le danger est grave et aucun aménagement ne peut raisonnablement le neutraliser. Le risque d’incendie de forêt, en l’occurrence, a justifié de ne pas délivrer le permis afin de protéger les personnes et les biens.
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Autres cas de figure : D’autres risques peuvent justifier un refus sur le fondement de la salubrité ou sécurité publique, par exemple le danger d’inondation majeure, l’instabilité du sol (risque d’éboulement ou de séisme), la présence de pollution sanitaire sur le terrain, etc.. Chaque situation est appréciée au cas par cas. L’important est que l’autorité compétente démontre qu’elle se trouve face à un risque objectif, actuel et non maîtrisable par des conditions de réalisation du projet. Faute de quoi, le refus pourrait être annulé par le juge pour excès de pouvoir.
Perspectives : prudence et confirmation attendue
La reconnaissance par la CAA Nancy de cette exception « salubrité/sécurité » dans le cadre post-annulation est une innovation jurisprudentielle notable. Elle offre à l’administration une dernière possibilité de s’opposer à un projet, même après avoir perdu en justice, mais uniquement pour des motifs supérieurs tenant à la protection du public. Néanmoins, cette position n’est pas encore consacrée par le Conseil d’État (juridiction administrative suprême). Une confirmation explicite de cette haute juridiction serait nécessaire pour sécuriser définitivement cette pratique, ou au contraire la limiter. En attendant, les maires et services d’urbanisme devront user de cette faculté avec une grande prudence. Un recours excessif ou abusif à de nouveaux motifs après annulation pourrait être perçu comme une résistance illégitime à l’autorité du jugement et exposer la commune à des condamnations (astreintes pour non-exécution du jugement, faute lourde, etc.).
Pour les professionnels de l’immobilier, cette évolution souligne l’importance d’anticiper les risques de salubrité et de sécurité dans tout projet immobilier. Lors du montage d’un dossier de permis, il est crucial d’identifier en amont les éventuels problèmes (risques naturels, raccordements aux réseaux, conformité sanitaire…) et de proposer des solutions ou garanties dès la demande initiale. Cela évitera que ces sujets n’émergent tardivement et ne compromettent le projet, y compris après une bataille judiciaire gagnée sur d’autres points. En somme, intégrer la dimension “sécurité-salubrité” dans l’urbanisme est non seulement une obligation légale, mais aussi une mesure de sécurisation des investissements.
Pour aller plus loin : se former en urbanisme
La réglementation d’urbanisme et ses subtilités – telles que les motifs de refus de permis et les procédures de recours – constituent un domaine technique qu’il est utile de maîtriser lorsqu’on travaille dans l’immobilier. Pour monter en compétence de manière pédagogique, il existe des formations dédiées. Par exemple, la formation «?L’indispensable de l’urbanisme?» proposée par MaFormationImmo offre aux professionnels une mise à niveau complète sur les bases du droit de l’urbanisme. Cette formation en e-learning (durée 14h) est claire, accessible, éligible à la loi ALUR, et s’appuie sur des cas concrets et des exercices pratique. Intégrable au pack de 42h de formation continue obligatoire, elle permet de respecter les obligations réglementaires tout en renforçant ses compétences de terrain. C’est une ressource précieuse pour apprendre à décrypter un PLU, comprendre les règles de constructibilité, anticiper les risques (incendie, inondation, etc.) et ainsi sécuriser ses projets immobiliers. En se formant de la sorte, les professionnels (agents immobiliers, promoteurs, lotisseurs…) pourront mieux accompagner leurs clients et éviter les écueils juridiques liés aux autorisations d’urbanisme.




