
L’assemblée prépare, dans le cadre du budget 2026, une réforme ambitieuse de la fiscalité du patrimoine : la création d’un « impôt sur la fortune improductive ».
Derrière ce nom nouveau, se cache une idée ancienne : faire payer davantage ceux dont le capital ne « travaille pas » au service de l’économie.
Mais avant d’en mesurer les effets, encore faut-il comprendre ce que signifie réellement l’improductivité économique.
Qu’est-ce qu’un bien improductif ?
En économie, un actif est dit productif lorsqu’il participe à la création de valeur, directe ou indirecte.
C’est le cas d’une entreprise qui emploie, d’un logement loué qui génère un revenu, ou d’un placement qui finance des projets.
À l’inverse, un bien est qualifié d’improductif lorsqu’il reste inactif dans le circuit économique : il ne génère ni flux de revenus, ni emploi, ni activité.
Dans cette logique, un appartement fermé, une résidence secondaire rarement occupée, ou un terrain laissé en friche sont considérés comme « improductifs ».
Ils représentent, selon le raisonnement des députés, un capital immobilisé qui ne contribue ni à la production, ni à la consommation, ni à l’investissement collectif.
Comment fonctionnerait ce nouvel impôt ?
L’idée est de remplacer l’actuel impôt sur la fortune immobilière (IFI) par un impôt plus large, appliqué non seulement aux biens immobiliers mais à tout patrimoine jugé « non productif » : logements vacants, objets de luxe, œuvres d’art, comptes d’épargne dormants ou assurances-vie inactives.
Le taux envisagé serait unique, autour de 1 %, ce qui simplifierait le barème actuel mais élargirait l’assiette des petits contributeurs.
Autrement dit, davantage de Français seraient concernés, notamment ceux possédant un patrimoine immobilier conséquent mais peu ou pas de revenus.
Cette approche se veut incitative : elle cherche à pousser les détenteurs de biens à les rendre utiles économiquement, par la location, la rénovation ou l’investissement.
L’immobilier est-il vraiment improductif ?
C’est la grande question.
Certes, un logement vide ne crée pas de revenus locatifs et n’alimente pas directement le PIB.
Mais réduire la productivité à la seule rentabilité immédiate est une vision partielle et économiquement contestable.
D’un point de vue macroéconomique, l’immobilier participe à la stabilité et à la richesse d’un pays.
Même inoccupé, un bien immobilier fait travailler des assureurs, des artisans, des fournisseurs d’énergie, des entreprises de sécurité, des notaires ou des agents immobiliers.
Il soutient le crédit bancaire, garantit les emprunts et contribue à la solidité du système financier.
Surtout, le logement est un actif refuge : il protège les ménages contre les aléas de la vie, réduit leur dépendance à l’État et encourage une épargne de long terme, souvent réinvestie dans des travaux ou des transmissions.
Autrement dit, un bien immobilier n’est jamais réellement improductif : il agit sur le temps long, en stabilisant l’économie et en soutenant la cohésion sociale.
Une définition trop simpliste de la richesse
La notion d’improductivité, telle qu’elle est utilisée dans le projet de réforme, repose sur une vision très comptable de l’économie.
Elle suppose qu’un actif n’a de valeur que s’il rapporte immédiatement quelque chose à la collectivité ou au Trésor public.
Mais la richesse ne se résume pas à des flux monétaires : elle inclut la sécurité, la transmission, le patrimoine culturel et la stabilité familiale.
D’un point de vue économique, taxer un propriétaire âgé qui garde une maison familiale vide n’a pas le même sens que taxer un investisseur qui spéculerait sur des appartements vacants.
Pourtant, le projet ne distingue pas clairement ces situations.
Une mesure plus politique qu’économique
En réalité, cette réforme s’inscrit dans un contexte politique précis.
Les députés cherche à afficher une politique de « justice fiscale », à une époque où la concentration du patrimoine immobilier suscite des tensions sociales.
En élargissant la base de l’IFI à des actifs dits « improductifs », le gouvernement veut envoyer un message : la fortune doit servir l’économie, pas dormir dans les coffres.
Mais sur le fond, l’impact économique pourrait être limité, voire contre-productif.
L’épargne immobilière est l’un des piliers de la stabilité française.
En la stigmatisant, l’État risque de fragiliser la confiance des ménages et de pénaliser ceux qui ont simplement voulu conserver un patrimoine, souvent fruit d’une vie de travail.
Derrière l’argument économique, il y a donc une logique avant tout politique et symbolique :
celle de montrer que le politique agit contre les inégalités, même si la mesure, dans la pratique, touche surtout les classes moyennes patrimoniales et les retraités propriétaires.
Analyse des votes à l’assemblée nationale
1. Le vote à l’Assemblée nationale
Le 31 octobre 2025, l’Assemblée nationale a adopté un amendement visant à transformer l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI) en un impôt sur la fortune qualifiée « improductive ». L’amendement a été adopté par 163 voix contre 150.
Il a été rendu possible par une alliance — inédite ou du moins peu attendue — entre des députés du Parti socialiste (PS), du Mouvement démocrate (MoDem) et du Rassemblement national (RN).
Pour sa part, le gouvernement a déclaré être « opposé au rétablissement de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) », ce qui suggère une certaine retenue ou prudence dans la portée de l’amendement.
2. Les positions des partis et les critiques
- Le PS a salué l’amendement. Par exemple, le député Philippe Brun s’est félicité du « rétablissement de l’impôt sur la fortune ».
- Le RN, via le député Jean-Philippe Tanguy, a estimé que la mesure « est à 99 % la mesure de Marine Le Pen », soulignant un terrain d’idéologie autour de la taxation de patrimoine.
- Les groupes de gauche hors PS (notamment La France insoumise, LFI) ont voté contre l’amendement, arguant qu’il affaiblit l’IFI sans revenir à l’ISF.
- Du côté de la majorité ou du gouvernement (partis alliés ou sympathisants), plusieurs voix se sont exprimées avec défiance : la ministre des Comptes publics a appelé à « arrêter de créer des impôts », estimant que l’économie française est fragile.
3. Analyse politique de ce vote
Le fait que l’amendement ait été adopté avec un soutien croisé PS-MoDem-RN révèle plusieurs réalités :
- D’un côté, pour le PS, c’est une occasion politique de marquer sa différence vis-à-vis de la majorité présidentielle et de camper sur une ligne de « justice fiscale » forte.
- Du côté du RN, le soutien peut être interprété comme stratégique : s’associer à une réforme de patrimoine permet de gagner en crédibilité sociale et de s’adresser à un électorat davantage préoccupé par les questions de répartition.
- Le MoDem et certains centriste ont sans doute joué un rôle pivot, cherchant peut-être à se démarquer des partis de gouvernement ou à s’inscrire dans un compromis fiscal.
- Le gouvernement, qui se dit opposé au retour de l’ISF, semble avoir accepté cette réforme partielle, probablement en raison de compromis parlementaires — ce qui montre que la logique n’était pas purement économique mais aussi politique.
En d’autres termes, ce vote ne relève pas seulement d’un arbitrage technique de finances publiques : il s’inscrit dans un débat sur qui paye, quand, et quel signe politique envoyer aux électeurs. Il s’agit de symbolique autant que de substance.
4. Implications et enseignements
L’issue montre que sur des sujets de fiscalité du patrimoine, les clivages partisan-idéologiques restent puissants, et que les alliances peuvent se recomposer en fonction de contextes politiques — ce qui rend la politique de l’impôt très volatile. Le fait que certains partis de gauche aient voté contre malgré le caractère « redistributif » de la mesure (car jugée insuffisante selon eux) souligne que la portée symbolique (retour à l’ISF, assiette large, taux élevé) reste un critère majeur de jugement. Le positionnement du gouvernement (opposition au retour de l’ISF) montre que la majorité veut maintenir une image de « contrôle des impôts » tout en cédant sur des mesures jugées politiquement inévitables. Enfin, ce type de réforme montre que la fiscalité du patrimoine est un champ de mise en scène politique, où chaque mesure sert également à affirmer des orientations idéologiques (justice fiscale, soutien à l’épargne, mise en valeur du patrimoine productif vs improductif).
Des conséquences avant tout économique
À court terme (2026–2027) : effets de choc et d’ajustement
- Arbitrages patrimoniaux massifs
- Ventes anticipées de résidences secondaires ou d’actifs peu rentables,
- transferts de patrimoine vers des actifs jugés “productifs” (entreprises, actions, capital-risque, fonds verts).
? Cela pourrait booster temporairement les recettes de cessions, mais aussi déséquilibrer certains marchés locaux (notamment littoraux et montagne).
- Réduction de l’investissement immobilier individuel
- Les particuliers investisseurs (bailleurs, SCI familiales) pourraient ralentir leurs acquisitions,
- et préférer des placements financiers hors de France ou défiscalisés.
? Risque de contraction de l’offre locative à moyen terme, surtout dans les villes moyennes.
- Effet psychologique négatif sur la confiance
- La mesure peut être perçue comme une instabilité fiscale chronique,
- décourageant les projets patrimoniaux à long terme.
À moyen terme (2028–2030) : réallocation du capital et effets contrastés
| Secteur | Effet probable | Conséquence |
|---|---|---|
| Immobilier résidentiel | Baisse de la valeur des résidences secondaires et biens inoccupés | Correction de 10–15 % attendue sur les zones touristiques |
| Location longue durée | Léger regain d’offres au début, puis stabilisation | Ralentissement si rendement net fiscalement réduit |
| Bourse / capital-investissement | Transfert d’épargne immobilière vers les marchés | Dynamisation du financement des PME et de la transition verte |
| Patrimoine international | Détournement partiel vers pays à fiscalité plus douce (Portugal, Italie, Grèce) | Perte de recettes fiscales en France |
| Recettes publiques | Gain à court terme (2–3 Md€/an) | Faible impact à long terme, risque de fuite (3–6 Md€) |
Risque macroéconomique : le précédent de l’ISF
- Le rendement attendu de cet impôt (2 à 3 milliards d’euros par an) reste modeste par rapport à ses effets économiques potentiels.
- Si la perception d’“instabilité fiscale française” s’accentue, les investisseurs institutionnels et particuliers étrangers pourraient réduire leur exposition au marché immobilier français.
Ce scénario pourrait ralentir la reprise du logement neuf, déjà affaibli, et allonger la crise du logement.
En conclusion
Le concept d’« impôt sur la fortune improductive » illustre parfaitement la frontière floue entre économie et politique.
Sous couvert de stimuler l’activité et la justice fiscale, cette réforme redéfinit la valeur du patrimoine selon une logique de rendement immédiat.
Pourtant, l’immobilier, loin d’être improductif, demeure un pilier de la stabilité, de la transmission et de la confiance économique.
Taxer son inertie, c’est peut-être utile pour le discours politique — mais beaucoup moins pour l’économie réelle.




