
Le retour du spectre Mitterrand et les conséquences pour l’immobilier
Le projet de loi de finances 2026 marque un tournant fiscal et symbolique : le gouvernement propose de remplacer l’actuel Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) par un nouvel “Impôt sur la Fortune Improductive”.
Derrière un nom technocratique se cache une réforme ambitieuse — et controversée — qui ravive les débats des années 1980 : faut-il taxer la fortune ou la rente ?
Un impôt plus large, plus simple… et plus risqué
Le nouveau dispositif maintient le seuil d’entrée à 1,3 million d’euros de patrimoine net taxable, mais élargit considérablement la base.
Sont désormais inclus :
- tous les biens immobiliers, qu’ils soient occupés, loués ou vacants ;
- les actifs dits “improductifs” : or, œuvres d’art, voitures de collection, assurance-vie non investie, cryptomonnaies dormantes ;
- et certaines formes de capital passif jugées “non contributives” à l’économie réelle.
En contrepartie, le barème progressif (0,5 % à 1,5 %) serait remplacé par un taux unique de 1 %, assorti d’un abattement forfaitaire d’un million d’euros par foyer fiscal.
Objectif affiché : simplifier l’impôt et réorienter le capital vers le productif.
Mais pour de nombreux foyers patrimoniaux, la facture risque de grimper.
Qui sera concerné ?
Concrètement, les foyers dont le patrimoine net dépasse 1,3 million d’euros après déduction des dettes sont concernés.
Même les biens loués entrent dans l’assiette : un investisseur possédant plusieurs logements locatifs, même financés à crédit, pourrait ainsi dépasser le seuil et être imposé.
Exemples :
- Un couple avec une résidence principale à 800 000 € et deux appartements locatifs totalisant 1,5 M€ ? patrimoine net ? 2,3 M€ ? imposition d’environ 13 000 €/an.
- Un détenteur de résidence secondaire sur le littoral à 1,4 M€ sans autres dettes ? également imposable, même si le bien est inoccupé.
Les impacts attendus sur le marché immobilier
Court terme (2026–2027)
- Ventes anticipées : des propriétaires chercheront à repasse sous le seuil en cédant une résidence secondaire ou un logement peu rentable.
Moyen terme (2028 et au-delà)
- Baisse de la valeur des résidences secondaires, notamment sur le littoral et en montagne.
- Recomposition du parc immobilier : retour sur le marché locatif de biens vacants ou “plaisir”.
- Redistribution territoriale : les zones à forte concentration de résidences secondaires (Landes, Var, Bretagne, Savoie) seraient les plus exposées.
En résumé, l’effet immédiat serait un transfert de richesse immobilière vers des placements jugés productifs (actions, fonds verts, entreprises).
Retour vers 1982 : quand Mitterrand inventait l’impôt sur les riches
Difficile de ne pas faire le parallèle.
L’idée de taxer la fortune “improductive” renvoie directement à l’Impôt sur les Grandes Fortunes (IGF) instauré par François Mitterrand en 1982.
À l’époque :
- Seuil d’entrée : environ 450 000 € actuels.
- Taux : progressif de 0,5 à 1,5 %.
- Assiette : tous les biens, y compris les valeurs mobilières, bijoux, œuvres d’art.
- Objectif : justice sociale et redistribution.
Mais dès 1986, le gouvernement Chirac supprime l’IGF, jugé idéologique et contre-productif, après une vague de fuites de capitaux spectaculaires.
La fuite des capitaux : le précédent historique
Entre 1982 et 1986 :
- Environ 10 000 à 15 000 foyers aisés ont transféré leur résidence fiscale à l’étranger (Belgique, Suisse, Royaume-Uni).
- La Banque de France et le Conseil des impôts estiment les sorties de capitaux à 7 à 10 milliards de francs par an, soit près de 10 milliards d’euros cumulés.
- Le rendement de l’IGF (3 à 4 milliards de francs/an) ne compensait même pas les pertes fiscales induites.
En proportion du PIB, cette fuite représentait 0,3 % du PIB par an, un chiffre considérable pour une mesure visant quelques centaines de milliers de contribuables.
L’histoire s’est répétée sous l’ISF (1989–2017), avec plus de 200 milliards d’euros cumulés de capitaux transférés selon un rapport du Sénat (2018).
Risque 2026 : vers une fuite “modérée mais réelle”
Les économistes estiment que l’IFI 2.0 pourrait entraîner la délocalisation de 3 000 à 5 000 foyers à haut patrimoine sur 2026–2027, soit 3 à 6 milliards d’euros de capitaux transférés — 0,1 % du PIB.
Le risque est concentré sur :
- les multi-propriétaires en zones touristiques,
- les investisseurs internationaux détenant de l’immobilier français,
- et les retraités fortunés à la frontière de l’exil fiscal.
Le paradoxe français : un impôt symbolique à rendement limité
| Impôt | Période | Rendement annuel | Fuite estimée | Solde global |
|---|---|---|---|---|
| IGF | 1982–1986 | 3–4 Md F | 10 Md F/an | – |
| ISF | 1989–2017 | 4–5 Md € | 200 Md € cumulés | – |
| IFI | 2018–2024 | 1,5–2 Md € | 2–3 Md €/an | ? neutre |
| IFI “Improductive” (proj.) | 2026– | 2–3 Md € | 3–6 Md €/2 ans | – |
Chaque réforme sur la fortune rapporte moins qu’elle ne coûte économiquement, mais rapporte politiquement.
En conclusion
Le “retour de l’impôt sur la fortune” ne dit pas son nom, mais il en a les effets.
L’État espère 3 milliards d’euros de recettes annuelles, tout en infléchissant le comportement des propriétaires jugés “rentiers”.
Mais l’histoire française l’a déjà montré :
« On ne retient pas la richesse par l’impôt, on la retient par la confiance. »
Le débat de 2026 ressemble furieusement à celui de 1982 —
seuls les mots ont changé, pas la mécanique.




