
Introduction
La location touristique de courte durée (type Airbnb) soulève de nombreux conflits en copropriété. De plus en plus de copropriétés cherchent à l’interdire ou la restreindre. L’agent immobilier doit connaître non seulement les règles statutaires, mais aussi les décisions de justice qui font jurisprudence, pour conseiller ses clients.
Ce guide présente le cadre légal, les décisions jurisprudentielles majeures, les risques et les stratégies possibles pour les agents immobiliers.
Le cadre légal applicable
La loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété prévoit dans son article 8 que le règlement de copropriété ne peut imposer de restrictions aux droits des copropriétaires que si elles sont justifiées par la destination de l’immeuble. Le règlement peut donc prévoir des clauses interdisant les activités contraires à l’usage d’habitation (comme certaines locations à court terme).
La loi ALUR de 2014 a renforcé le pouvoir des copropriétés de modifier leur règlement pour interdire ou encadrer les meublés touristiques.
Les communes touristiques peuvent imposer des obligations complémentaires par le biais du code de la construction et de l’habitation, notamment l’article L. 631-7 qui soumet le changement d’usage d’un logement affecté à la location touristique à une autorisation administrative préalable.
La loi « Le Meur » (novembre 2024) introduit une nouvelle disposition (article 26 d) pour permettre aux copropriétés, sous certaines conditions, de voter une clause interdisant les meublés de tourisme dans les lots à usage d’habitation autres que ceux constituant une résidence principale. Toutefois cette clause doit respecter des critères stricts pour ne pas modifier la destination de l’immeuble.
Depuis le 1?? janvier 2025, toute mise en location meublée touristique doit faire l’objet d’une déclaration en mairie, sauf pour le propriétaire occupant, et dans les copropriétés le syndic doit être informé.
Jurisprudences majeures : ce que disent les juges
Cassation, 8 mars 2018 (n° 14-15.864)
La Cour de cassation a estimé que la rotation de courtes durées dans des logements aménagés comme des « hôtels studios meublés » était incompatible avec la destination d’un immeuble à usage d’habitation (avec usage mixte mais excluant toute activité commerciale). Elle a jugé que la pratique de la location de courte durée récurrente constituait une infraction aux dispositions du Code de la construction (L. 631-7) et a validé une astreinte et une remise à l’usage d’habitation.
L’arrêt reconnaît la réalité de l’activité contrôlée par les captures d’écran, la fréquence des réservations, et l’incompatibilité avec la vocation résidentielle de l’immeuble.
Cassation, 15 novembre 2018 (même arrêt, publication)
La décision a été publiée au Bulletin et constitue une référence pour les décisions ultérieures.
Cassation, 27 février 2020 (non publiée au bulletin)
La Cour de cassation a confirmé qu’une activité de location saisonnière massive, exploitable comme une activité proche de l’hôtellerie, pouvait être interdite dans un immeuble à destination bourgeoise. L’arrêt remet en œuvre le concept que l’activité de location touristique à répétition, sans limites, peut être incompatible avec la destination de l’immeuble.
Arrêt du 25 janvier 2024
La Cour de cassation a précisé que l’activité de location de courte durée sans prestations accessoires significatives ne revêt pas nécessairement un caractère commercial. Ainsi, dans cette situation, l’interdiction automatique prévue par une clause d’habitation bourgeoise ne peut pas s’appliquer mécaniquement.
Cet arrêt représente une évolution jurisprudentielle importante, en nuançant la position stricte antérieure.
Interprétations jurisprudentielles et tensions
L’arrêt de 2024 montre que la nature civile ou commerciale d’une location touristique dépend souvent de la présence ou non de services para-hôteliers (petit déjeuner, ménage régulier, réception).
Même en présence d’une clause d’habitation bourgeoise, l’idée nouvelle est que l’interdiction ne peut pas s’imposer si l’activité reste simple, sans services hôteliers.
Toutefois, la clause d’habitation bourgeoise ne peut pas être utilisée pour interdire automatiquement la location meublée si l’immeuble autorise certaines activités libérales. Dans ce cas, la clause serait réputée non écrite.
La loi Le Meur introduit une possibilité de clause d’interdiction (article 26 d), mais selon l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 20 mars 2025, cette clause doit respecter des critères précis, notamment qu’elle ne change pas la destination de l’immeuble ou ne soit pas appliquée universellement hors résidence secondaire.
Les décisions de fond en copropriété (tribunal judiciaire) sont de plus en plus nombreuses à interdire des locations non conformes sur la base du règlement ou de la destination de l’immeuble.
Risques encourus et précautions à prendre
Le non-respect des décisions de copropriété ou de la réglementation peut entraîner des actions en cessation de l’activité, des astreintes, des amendes, ou des condamnations à remettre le bien à usage d’habitation.
Le propriétaire exposé peut être contraint de cesser la location, d’abandonner ses revenus, voire d’indemniser la copropriété ou des copropriétaires lésés.
L’agent immobilier doit vérifier :
- Le règlement de copropriété (destination, clause d’habitation bourgeoise)
- La nature des prestations fournies (services para-hôteliers ou non)
- La conformité avec les textes municipaux ou d’urbanisme (déclaration, autorisation)
- La jurisprudence applicable dans le ressort pour anticiper la décision d’un tribunal




